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“La Jalousie” : Michel Fau signe une mise en scène royale

Hélène Kuttner 2 novembre 2025
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©MARCEL HARTMANN

Entouré de Gwendoline Hamon, de Geneviève Casile et d’Alexis Montcorgé pour les rôles principaux, l’acteur et metteur en scène Michel Fau réalise un spectacle magistral qui sert superbement la langue ciselée et l’humour caustique de Sacha Guitry. Dans des décors chatoyants, cette pièce de jeunesse, qui ressemble à un boulevard, touche ici ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, sa fragilité et ses obsessions. Une pièce majeure qui célèbre le Centenaire de la Michodière.

Une mise en scène musicale

©MARCEL HARTMANN

On ne présente plus Michel Fau, comédien et metteur en scène plusieurs fois primé, qui s’attache depuis quelques années à rafraichir avec virtuosité et un immense talent des œuvres du début du 20° siècle. Personnalité hors-norme et acteur qui ne craint pas les excès, Michel Fau a le génie de s’entourer d’interprètes de choix pour les diriger dans une mise en scène au cordeau, réglée avec le tempo d’une véritable symphonie. La Jalousie est une pièce de jeunesse de Sacha Guitry, qui a été créée aux Bouffes Parisiens en 1915. Elle met en scène un fonctionnaire, Albert Blondel, qui est pris à son propre piège. Alors qu’il rentre tard chez lui, parce qu’il vient de se faire inviter par une cocotte à un rendez-vous galant, Blondel cherche désespérement à justifier son retard à sa femme. Sa nervosité est à son comble, son imagination galope elle aussi. Au fur et à mesure qu’il passe par toutes les couleurs de l’arc en ciel, il s’aperçoit que son épouse Marthe n’est pas encore rentrée non plus. Un orage de colère mêlé à une tempête de jalousie s’abattent sur le fonctionnaire, bien décidé à accueillir sa femme aussi froidement que le ferait un commissaire de police. 

Entre le vaudeville et le film noir

©MARCEL HARTMANN

Face public, dans un décor à la végétation art déco foisonnante, le comédien, costume noir, pantalon rayé et guêtres assorties, est saisissant de vérité. La langue de Guitry cisèle les images caustiques, se pique de moqueries envers les femmes, tandis qu’elle ridiculise la vanité masculine. Les questions et les réponses fusent à la vitesse de l’éclair, l’amour propre est projeté comme une balle de tennis, les revirements d’appréciation sont légion, et un film pervers enveloppe de manière vénéneuse le cerveau de Blondel. Michel Fau, immobile mais le visage d’une mobilité fulgurante, laboure son crâne d’idées contradictoires et fonce tête baissée dans un nuage très noir de mauvaise foi et d’injustice. Cet ouragan de fiel, cette mascarade de mauvaise foi et d’insincérité, il la déverse sur l’épouse la plus vertueuse, la plus sincère qui soit. Gwendoline Hamon, épaulée parfaitement par Geneviève Casile qui interprète sa mère, est remarquable de finesse et de vérité. Fille et mère forment un bloc dont Guitry moque la résistance clanique face au mari, bloc de ruse féminine contre un bloc d’orgueil et de bêtise masculine. 

La pate du dandy

©MARCEL HARTMANN

Face à cette jalousie dévorante, portée par un personnage qui erre comme un damné, Alexis Moncorgé incarne Lézignan, écrivain séducteur et dandy absolu, sensé être l’amant de Marthe. Lui est aussi est habillé d’un costume somptueux, moustache en forme de virgule à la mode, cheveux gominés et robe de chambre en soie jaune, tandis qu’il dicte son nouveau roman à sa secrétaire, une sténo dactylo débutante, jouée par Fabienne Galula. La scène de la dictée romanesque, interprétée à la perfection par les deux acteurs qui multiplient les roulements d’yeux et les mimiques insensées, est à cet égard un moment d’anthologie. Et c’est à ce moment que Marthe, poussée par la jalousie dévorante de son mari, finira par tomber dans les bras de Lézignan. L’interprétation ici, le rythme des scènes et la gestuelle stylisée, évoque aussi les films muets des années 1910, alors que les violons de symphonies romantiques nourrissent la tension. Les domestiques et l’agent de police qui fait office de détective, interprétés par Alexis Driollet, Joseph Tronc et Léo Marchi, rivalisent eux aussi de talent et de cruauté comique. Costumes, décor et lumières sont au diapason de l’excellence dans cette production qui semble bien partie pour être un succès et qui célèbre l’art théâtral avec panache.

Hélène Kuttner 

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